mercredi 13 août 2014

Plumes et Astuces

Rendre ses personnages attachants

J’ai demandé l’autre jour sur le forum s’il y avait des sujets que vous aimeriez que je traite. Vous avez été nombreux à me faire des suggestions vraiment intéressantes, merci beaucoup ! Aujourd’hui, je vais essayer de répondre à la question posée par Aranck : comment rendre ses personnages attachants ? Déjà, qu'entendons-nous par un personnage « attachant » ? Ce sera, dirons-nous, un personnage qui inspire au lecteur un sentiment d'empathie, de sympathie même. Le personnage auquel le lecteur s'attache, c'est celui auquel il s'identifie ou qui le touche personnellement. Comment nous, auteurs, pouvons-nous favoriser cette belle rencontre entre eux ?

Un héros trop parfait

Je ne sais pas pour vous, mais moi, dans mes premières histoires, plus j'aimais mon personnage, plus je voulais que le lecteur l'aime aussi. J'estompais au maximum ses petits défauts (qui n'en étaient pas vraiment d'ailleurs) et je braquais tous les projecteurs sur ses qualités : « Voyez comme il est brillant, chevaleresque et plein de grandeur d'âme ! Voyez comme il n'hésite pas à se sacrifier pour les autres ! » ou encore « Voyez comme elle est décomplexée ! Voyez comme elle est aimée et admirée de tous les autres protagonistes ! Et par-dessus le marché, voyez comme elle est dotée de superpouvoirs inégalables ! » Je ne cumulais pas alors plus de trois lectrices (Plume d'Argent n'existait pas encore) et je ne comprenais pas POURQUOI elles s'attachaient davantage à mes personnages secondaires, voire à mes méchants, plutôt qu'à mes héros. À présent, je le sais. Parce que mes héros correspondaient à un fantasme personnel, ils étaient le reflet de mon idéal, la femme que j'aurais voulu être ou l'homme que j'aurais voulu rencontrer (oui, je n'avais pas CET non plus en ce temps-là... triste époque). Et plus j'essayais de les rendre encore plus cool et encore plus formidables, moins je faisais mouche.

La leçon que j'en ai tirée ? Un personnage trop parfait, dépourvu de zones d'ombre, de faiblesses et d'aspérité, qui jamais ne se met en colère, qui jamais ne doute et qui dénoue tous les problèmes en un tournemain, bref une personne à qui tout réussit est hors d'accès pour notre lecteur. Ce dernier ne peut pas s'identifier à lui et n'a envie ni de le plaindre ni de se réjouir pour lui. Un personnage idéalisé n'est attachant que pour l'auteur.

Le anti-héros

L'auteur peut dès lors prendre le parti inverse et créer un anti-héros, ce qui est en soi une démarche intéressante. Mais attention : anti-héros ne signifie pas forcément antipathique. À trop vouloir forcer le trait et cribler son personnage de vices, on court le risque de le rendre insupportable… et l'affubler d'un jolis minois ne le rendra pas plus attachant. Là encore, tout se joue au niveau du processus d'identification : le lecteur n'aura pas envie de ressembler à un personnage lâche ou odieux, pas plus qu'il ne ressentira de la pitié ou de la fierté pour lui.

Votre anti-héros deviendra en revanche beaucoup plus attachant si vous le pensez en plein et non en creux. Plutôt qu'un personnage mou et passif qui subit l'histoire de A à Z (Ophélie, dans la première version de la Passe-miroir, avait cette tendance), faites de lui le vrai moteur du récit, celui qui crée sa dynamique ou qui y contribue, à travers une cause à laquelle il se dédie, une passion qui le transcende, une motivation personnelle forte. Et surtout, ne lui épargnez aucune épreuve, aucun doute, aucun découragement : ce sont eux, et la façon dont votre personnage les surmonte, qui susciteront peut-être les plus belles émotions chez votre lecteur... Et chez nous aussi, auteurs,  soit dit en passant.

Une personnalité crédible

Si je devais faire un résumé simplifié des deux points précédents, je dirais que pour rendre un personnage attachant, en somme, il ne doit être ni trop parfait, ni trop imparfait, et surtout, il doit en baver. Tout est dans le dosage. Même une fois que vous lui avez attribué des lignes de force et des zones d'ombre, il va vous falloir faire continuellement attention à ce que ça sonne juste !

Concrètement, ça signifie trois choses :

1) « don't tell, show »

Il ne suffit pas de déclarer au début de l'histoire : « Trucmuche est un personnage à fleur de peau, parfois exagérément susceptible, mais aussi capable d'une très belle personnalité » et puis ne plus jamais revenir dessus par la suite. Il ne s'agit pas non plus de tricher en passant par le regard des autres protagonistes de l'histoire pour définir la personnalité de votre héros. Non, c'est à travers ses actes, ses choix, ses pensées tout au long du récit que le caractère du personnage ressortira, avec ses manies, ses complexes et ses moments de grâce.

2) N'en faites pas des tonnes

Encore une fois, gare au retour de balancier, il ne s'agit pas non plus de tomber dans le travers inverse en forçant le trait. Votre personnage est susceptible ? Ça ne signifie pas qu'il doit se vexer toutes les dix lignes. Votre personnage est autoritaire ? Ça ne veut pas dire qu'il doit donner un ordre à chaque dialogue. Un personnage trop caricatural sera moins attachant pour le lecteur. Préférons-lui une personnalité plus complexe, plus nuancée et, pourquoi pas, ambivalente.

3) Surprenez le lecteur

Doter votre personnage d’une force ou d’une faiblesse ne signifie pas qu’il doit être égal à lui-même de bout en bout. Votre héros peut être foncièrement bon, mais se montrer parfois injuste ou égoïste. Votre antihéros peut avoir un vice sans pour autant s’y adonner et s’y complaire sans jamais lutter contre lui. En tant que lectrice, mes plus beaux moments de jubilation se sont produits en voyant un personnage oser faire enfin une chose dont je ne le pensais pas capable. Ça m’a particulièrement frappée dans les fictions de Flammy où les personnages m’ont réservé l’un après l’autre des surprises absolument inattendues. Je suis tombée raide dingue de chacun d’entre eux ! Bref, un personnage attachant, c’est un personnage qui n’est pas figé dans le marbre, qui est capable de nous prendre au dépourvu et faire naître en nous une émotion plus puissante qu’elle ne l’aurait été s’il n’y avait pas eu ce facteur de surprise. Les personnages attachants, ce sont qui évoluent au fil du récit et qui le font dans la douleur (eh, regardez un peu Jamie dans « le Trône de fer »).

En conclusion, j’insisterai sur l’importance de l’émotion quand on travaille à rendre un personnage attachant. Le lecteur devra partager avec lui ses joies (d’autant plus fortes qu’elles seront inattendues) et ses douleurs (d’autant plus poignantes qu’elles le pousseront à évoluer). Et il n’y a pas de mystère : pour que cette émotion-là passe, nous devons, nous, auteurs, la ressentir profondément à travers l’écriture. Merci encore à Aranck pour le sujet ! Toutes vos remarques et réactions sont évidemment les bienvenues :-)

Cristal

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